Contributions, réflexions ou recommandations sur la fin de vie du conseil régional de l’ordre des médecins, des conseils départementaux et des conseillers nationaux de la région des Pays de la Loire.
Angers le 8 décembre 2012.
Le conseil régional et les conseils départementaux de l’ordre des médecins des Pays de la Loire, soucieux de contribuer au débat sur la fin de vie, suite à la mission confiée par le président de la République au professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, ont réuni à Angers le 13 décembre, dans le cadre de la coordination, des représentants mandatés par lesdits conseils afin de débattre et de rédiger une contribution qui sera versée au débat public et adressée au Conseil national de l’Ordre.
Assistaient également à cette réunion et participaient aux débats les conseillers nationaux élus par la région.
Le texte qui suit fait l’objet d’un consensus.
Le document est articulé en trois chapitres pour la clarté de l’exposé, mais les contributeurs ont tout à fait conscience que chaque chapitre résonne avec ce qui est écrit dans un autre. Il est donc demandé au lecteur de prendre connaissance du document dans son entier avant de faire part de ses observations personnelles. En outre, il ne s’agit pas d’un texte de doctrine mais de réflexions, aussi pourra t-il s’enrichir et évoluer en fonction des réactions ou observations qu’il susciterait.
Le fil conducteur repose sur le consentement du patient aux soins qui lui sont prodigués, ainsi que sur les synergies entre les devoirs du médecin définis dans le code de la santé publique sous les articles R 4127-1 et suivants et les droits des patients tels qu’ils ont été affirmés par la loi du 4 mars 2002. Toutefois, les évolutions sociétales conduisent à s’interroger sur les adaptations qui pourraient survenir si telles étaient les préconisations issues du débat public et de la saisine du parlement pour légiférer.
Le patient doit consentir aux soins et le médecin doit obtenir ce consentement avant de les entreprendre, sauf situations exceptionnelles notamment lorsque le patient est inconscient en situation d’urgence. Dans ce consentement aux soins, se trouvent les situations où des soins palliatifs devraient être mis en œuvre, au nom du refus éthique de « l’acharnement thérapeutique ». Evidemment la transition entre soins actifs et soins palliatifs ne marque pas une rupture ni un renoncement dans l’accompagnement que le médecin doit toujours au patient.
Cet accompagnement est plus large d’ailleurs que l’accompagnement du médecin. Il est aussi médico-social, psychologique, affectif, philosophique, spirituel. C'est-à-dire qu’il repose sur un large entourage, et non pas sur le seul médecin dans une relation singulière. Chacun y tient son rôle. Sur le plan professionnel chaque médecin doit agir en coopération avec les autres acteurs de l’équipe de soins et de prise en charge.
Que se passe-t-il alors si un patient exprime un refus conscient et réitéré de soins palliatifs et demande la survenue de la mort ?
C’est un des volets de ce débat, au nom de l’autonomie ultime de la personne. Quand bien même cette demande serait exceptionnelle, elle ne peut rester sans réponse. Cette réponse ne relève pas de la seule appréciation du corps médical. Il s’agit d’un débat éthique de la société toute entière. Aucun médecin ne peut imposer ses propres convictions intimes dans son office près des patients. Il doit toujours des soins attentifs et consciencieux, dès lors qu’il a accepté une demande, quels que soient les sentiments que le patient lui inspire. Ce devoir éthique, multiséculaire et transculturel, a cependant des limites : celle de la clause de conscience que le médecin peut exprimer au patient ou à son entourage pour se récuser dans la poursuite de la prise en charge, à la condition que ce retrait ne soit pas un abandon.
C’est dans ce contexte que nous exprimons les recommandations suivantes :
1. Sur l’application de la loi dite Léonetti.
La loi dite Léonetti a marqué une grande avancée dans le développement des soins palliatifs en phase terminale d’une affection ou d’un état aujourd’hui incurables. Relevons qu’elle est survenue après de douloureuses situations qui ont été largement médiatisées et qui ont fait avancer le droit positif. Faisons donc mémoire des personnes aujourd’hui disparues. La loi, imposant l’évolution réglementaire du code de déontologie dans la hiérarchie des normes, a admis le double effet d’un traitement sédatif en fin de vie. L’intention est de soulager des souffrances physiques et/ou psychiques mais n’a pas pour objectif premier pas de provoquer délibérément la mort. La loi est encore insuffisamment connue sous tous ses aspects, y compris dans le monde hospitalier hors unités de réanimation, alors qu’elle peut répondre au plus grand nombre de situations humaines et médicales.
De plus, hors du secteur hospitalier, des efforts d’accompagnement des médecins, du secteur médico-social et des unités mobiles de soins palliatifs restent à accomplir ou à parfaire, dès lors que la demande du patient serait de pouvoir finir ses jours chez lui. Ce souhait est encore loin de pouvoir être réalisé aujourd’hui.
En effet - entre autre - l’application de la loi dite Léonetti repose sur le principe de la collégialité des décisions. Si cette collégialité est relativement facile à mettre en application dans le secteur de l’hospitalisation, elle est bien moins aisée à obtenir selon les procédures formelles de la loi dans le secteur de la médecine ambulatoire. Nous recommandons que l’application de la loi comporte des moyens d’explicitation concrète et réaliste de la collégialité dans le secteur de la médecine à domicile dans ces situations. Il en est de même pour ce qui concerne des situations en HAD ou de fin de vie en EHPAD, qui sont proches des soins ambulatoires à domicile.
Dans tous les cas, aux côtés du formalisme juridique de la loi, nous souhaiterions voir reconnu le caractère essentiel de la concertation dans « l’équipe de prise en charge », et que la collégialité élargie dans toutes les dimensions des devoirs d’humanité n’aboutisse pas à s’en remettre à la décision ultime du seul médecin.
Quels doivent être les contours de cette équipe ? La réponse relève d’abord du choix du patient lorsqu’il est conscient et apte à consentir. L’interrogation se pose essentiellement lorsque le patient n’est plus conscient ou n’a plus son aptitude au discernement. Les directives anticipées dont nous parlerons plus loin peuvent contribuer à la réflexion au sein de l’équipe, ainsi que la consultation de la personne de confiance.
Dans l’exercice quotidien, l’expression « faites pour le mieux docteur ! » traduit assez souvent une incompréhension - ou un désir inconscient de ne pas comprendre clairement – qui se situe entre le moment de la cessation des « soins actifs » et la mise en œuvre des soins palliatifs. A ce stade, le devoir d’information ne peut pas reposer sur le seul médecin, ce doit être l’expression humaine accompagnatrice d’une équipe, qu’il s’agisse du transfert du patient dans une unité de soins palliatifs, qu’il s’agisse de son retour à domicile ou dans un autre établissement. Cette période de transition dans la nature médicale des soins ne doit jamais être ressentie comme un abandon. L’annonce ne doit pas être brutale, elle doit être préparée par chaque membre de l’équipe. Pour autant elle doit devenir explicite, quand bien même la prise de conscience serait progressive pour le patient comme pour son entourage. Elle doit proposer un autre avis au besoin. Comme ces aspects, profondément humains, ne peuvent pas être réglés par une disposition législative ou réglementaire, il conviendra que le législateur comme la puissance réglementaire soient attentif à ne pas en rendre l’effection encore plus difficile par la publication de textes qui seraient excessivement normatifs.
Dans une situation de soins palliatifs, comment se déciderait une sédation terminale lorsque ce stade est atteint ?
Nous affirmons solennellement que cette situation doit toujours être singulière. Aucune réglementation ne peut venir l’imposer. Auquel cas, il serait du devoir des médecins et de leur représentation ordinale de le dénoncer et de le combattre.
Cette situation doit comporter une coordination et des échanges répétés au sein de l’équipe de soins, mais aussi, au-delà, avec la personne de confiance, en tenant compte des directives anticipées, du point de vue du médecin ou d’un autre professionnel de santé désigné en confiance particulière par la personne.
Nous avançons l’opinion qu’il ya une « intelligence collective » forte dans ces situations et que celle-ci est supérieure à l’intelligence ou à l’empathie d’un seul. Celles-ci se trouveraient inévitablement exprimées au travers du prisme de ses sentiments et de ses opinions. Cela suppose dans la formation initiale et continue des médecins et des autres professionnels de santé celle de la formation aux soins palliatifs et l’apprentissage de la collégialité. Cette collégialité n’est pas la dilution des responsabilités. Elle doit obéir à des règles structurantes de travail en « équipe de soins », bien au delà du seul monde de l’hospitalisation.
Enfin, nos réflexions nous font indiquer ici que les circonstances de la mort au terme de soins palliatifs ayant comporté une sédation terminale conduisent à inclure la conduite psychologique du deuil pour l’entourage de la personne dès le stade de la concertation sur la sédation.
2. Sur le droit à mourir dans la dignité.
Faut-il reconnaitre dans le droit positif un droit à mourir, qui pourrait être librement exprimé par toute personne en capacité juridique de le faire ? Faut-il ajouter à cela la notion de dignité, comme une restriction à ce droit ?
La notion de dignité est une notion complexe qui renvoie à des aspects philosophiques, religieux et sociaux. Chacun - surtout lorsqu’il est en bonne santé - peut avoir son avis pour lui-même mais ne peut en aucun cas se voir reconnaitre le droit d’en avoir un pour autrui. On retrouve dans cette notion de dignité les idées de liberté, d’autonomie, d’aptitude, de non souffrance, de son apparence au regard des autres, de son désir de ne pas dépendre de son entourage ou d’autrui pour des besoins élémentaires …
Le droit à mourir est celui de pouvoir disposer seul de sa vie et de son corps, de la même façon que l’on dispose du droit de décider des attributions de ses biens par des volontés testamentaires. Il faut observer ici, cependant, que les dispositions testamentaires ne sont pas totalement libres ; elles ne le sont que dans le cadre de règles d’ordre public.
Si ce « droit à mourir » avait une reconnaissance légale, soit par euthanasie soit par suicide assisté comme dans certains pays, la demande qui ne devrait être effectuée que par le patient lui-même supposerait avant tout qu’il ait la conscience lucide et libre de soi, ce qui exclurait les troubles cognitifs, les affections psychiatriques comportant une dépréciation de soi même, ou le travestissement d’une volonté sous influence de courants idéologiques, partisans voire sectaires.
L’inscription de ce droit dans la législation française, aujourd’hui non reconnu alors qu’il l’est dans d’autres sociétés libres et démocratiques y compris dans le cadre européen, impose de se prémunir contre toutes dérives qui entraveraient la liberté entière de la personne, particulièrement si elle se trouve en situation de vulnérabilité du fait de sa maladie, de son âge ou de son état.
L’Ordre des médecins n’a pas, en tant que tel, des opinions publiques à exprimer sur ce sujet, en dehors de celles-ci. Cette question relève d’un débat de société dont les dimensions philosophiques et spirituelles sur le sens de la vie et de la mort doivent être respectées. La loi établit que l’Ordre n’a pas à connaitre des opinions politiques, philosophiques ou religieuses des membres qui le composent.
En revanche, l’Ordre des médecins soutient que chaque médecin à droit lui aussi, comme citoyen, à avoir ses engagements sociaux, philosophiques ou religieux, c'est-à-dire qu’il a le droit d’exprimer ses convictions. Ces convictions doivent être reconnues de plein exercice. Dans son exercice professionnel, le médecin dispose d’une clause de conscience si une demande d’intervention de sa part était contraire à ses convictions. Ce droit est de portée générale. Il peut alors se dégager de sa mission, sans avoir à s’en expliquer mais sans manquer à ses devoirs d’humanité. Ce principe devra être fondamentalement respecté dans l’hypothèse où la loi créerait une exception singulière d’euthanasie, voire un droit à mourir.
Dans cette situation, si le législateur le reconnaissait et en fixait les conditions par voie réglementaire, la mise en œuvre des moyens provoquant la mort ne relèverait pas nécessairement du corps médical. Il ne pourrait pas être exigé d’un médecin qu’il mette lui-même en œuvre ces moyens. En revanche, s’il s’agit d’un patient dont il a assuré le suivi ou un moment de prise en charge, le médecin ne devra pas donner à ce patient le sentiment qu’il l’abandonne.
3. Sur les directives anticipées et la personne de confiance
En fonction de ses opinions toute personne peut exprimer ses recommandations voir son désir sur sa fin de vie personnelle. Elle peut l’indiquer à son entourage et spécialement à une personne de confiance, telle que celle-ci est prévue par la loi. Elle peut aussi ou en complément formaliser cela en rédigeant des Directives anticipées. Si la personne communique ses Directives au médecin, celui-ci doit les inscrire dans le dossier médical. Il peut aussi s’enquérir de l’existence de ces Directives si la personne aborde avec lui de façon informelle ce sujet a propos d’un épisode de soins ou d’une appréhension. Les instances sanitaires et sociales devraient diffuser plus largement dans la communication publique la possibilité de cette rédaction de Directives anticipées, en en rappelant aussi les limites : « ce que je dis aujourd’hui restera-t-il vrai, comme expression constante de ma volonté, quand il en serait fait usage ? »
Ces Directives doivent naturellement être prises en compte dans toutes les concertations autour des soins palliatifs et de la fin de vie. Elles doivent être respectées si elles ne sont pas contraires aux lois. Selon nous, elles ne peuvent cependant pas avoir pour le médecin le caractère d’une injonction. A cet égard, le médecin qui en a connaissance doit faire savoir au patient que sa clause de conscience lui interdira de satisfaire la directive, si tel est le cas, et doit alors se récuser en amont.
Le patient peut donner ses Directives anticipées à la personne de confiance. Ce qui vient d’être écrit précédemment doit s’appliquer de la même manière et dès que le médecin en a connaissance.
Nous souhaiterions que des moyens juridiques appropriés puissent permettre de s’assurer que, lorsqu’un patient n’est plus en mesure de s’exprimer lui-même, la personne qui le fait en son nom agit bien dans le respect des volontés du patient et qu’elle n’a pas d’autres intérêts pour agir.
Nous déconseillons enfin au médecin traitant et aux médecins auxquels le patient fait confiance dans une relation de soin d’accepter d’être désignés comme personne de confiance, même si la loi ne l’interdit pas. En effet ces médecins pourraient se trouver placés ainsi dans des situations difficiles à gérer voire même sources de conflits.
Telles sont les réflexions et recommandations émises pour concertation dans le débat par les représentants mandatés du conseil régional, des conseils départementaux de l’ordre des médecins et les conseillers nationaux de la région des Pays